mardi 28 janvier 2014

Damgan: petite cité ostréicole du sud Morbihan

Damgan, l'ostréiculture durant les trente Glorieuses

Le goéland survole de près la digue. Il tournoie quelque peu, pour bien choisir son point de chute. Soudain, il laisse tomber sur le ciment l’huître qu’il tenait dans son bec, et la précieuse écaille vient s’éclater sur la dalle, laissant ainsi à l’oiseau tout le loisir de déguster
( de se goéler, comme on dit ici.)
            Quel instinct ancestral a pu lui faire deviner que dans ce bloc grisâtre, rugueux et peu ragoûtant se cachait une chair d’une finesse incomparable, un mets digne des gastronomes les plus délicats ! pour lequel les humains, non moins raffinés que les goélands, se sont battus, ont crée des structures complexes, observé et défié la mer et le ciel…
I- LES DIFFERENTES VARIETES  QUI COEXISTENT A DAMGAN
         Ici, à Damgan, on élève les huîtres depuis 1858, date de la création des premiers parcs à Pénerf, qui peut s’enorgueillir d’avoir les premiers de tout le département du Morbihan.
            Ils furent installés dans la rivière de Pénerf, qui, par la nature de son sol et la salinité de ses eaux, était propice à ce type de culture.
         1- huîtres autochtones
         La rivière de Pénerf est en réalité une ria, bras de mer s’enfonçant dans les terres, et alimenté en eau douce par le ruisseau de la Drayac (en français, la Drague). Elle forme une sorte d’étoile à quatre branches, qui sont autant d’étiers. Celui de Damgan est précisément celui où l’eau marine s’enfonce le plus loin à l’intérieur des terres. Il mesure 6km.


C’est dans cette anse, qui forme un refuge contre la turbulence des tempêtes, et dont la proportion d’eau douce et d’eau salée est parfaitement équilibrée, que se sont développées les premières installation ostréicoles. Mais non les premières huîtres ! De mémoire humaine, il a toujours existé là un gisement naturel d’huîtres plates, qui était exploité librement d’abord, puis selon une règlementation de plus en plus stricte à mesure que la surpêche et les méthodes inappropriées de récolte faisaient diminuer le banc, qui finit néanmoins par disparaître en 1970, après avoir connu des alternatives de richesse et de raréfaction.
Mais en cet immédiat après-guerre que constitue cette période de trente  ans qu’on appelle les Trente Glorieuses, ce banc est classé, et sa drague autorisée un petit nombre de jours par an seulement. Elle est ouverte à tous. On y vient en sinagot, ces pittoresques bateaux à deux mâts et aux voiles rectangulaires, caractéristiques du golfe du Morbihan. C’est un coup de fusil qui déclare la drague ouverte ; il faut alors faire vite, et ramasser autant d’huîtres qu’on peut, avant que ne retentisse le deuxième coup de fusil, qui ordonne la fermeture de la drague.


                                                        
              Retour de drague, 1967 ; photo aimablement prêtée par Mme Dany Le Cuillier



 Drague des huîtres en rivière de Pénerf, tableau de Trafford Klotz conservée au Musée de Rochefort en Terre. Cette photo appartient à la collection particulière de M. et Mme Berrier.)


C’est alors  une véritable fête qui commence, dont nos parties de pêche à pied et le pique-nique qui les suit, sur les tables en bois du Govet ou de St Guérin, sont les héritières : une partie des huîtres  seront triées sur le bateau, l’autre sera vendue sur le port de Pénerf. Là, toutes les familles se réunissent, à l’un des restaurants de port, chacun apportant son casse-croûte, et la fête se poursuit dans la joie et la bonne humeur jusqu’à la tombée de la nuit. Depuis l’école du village (le bâtiment qui abrite aujourd’hui le Musée de l’Huître), les enfants délaissent leurs cahiers et suivent avec intérêt ce qui se passe sur le port, en attendant avec une impatience non dissimulée la sonnerie… à tel point que l’institutrice, excédée, peint le bas des carreaux de couleur opaque, pour recentrer la concentration de ses élèves !
Pénerf et ses habitants connaissent alors une période de prospérité .
Voici par exemple, pour la période qui nous intéresse, quelques exemples des quotas de ramassage autorisés, dans les années fastes où le banc avait retrouvé toute sa splendeur d’antan :


Cependant, dès le milieu du XIXème siècle, la drague des huîtres sauvages coexiste avec leur culture en parcs.
Mais avant de continuer, il faut expliquer la différence entre les huîtres plates, qui sont devenues aujourd’hui une rareté d’autant plus recherchée et appréciée, car elles ne sont plus commercialisées à Damgan, et les huîtres creuses : la plate,  de forme ronde et relativement régulière, plate comme son  nom l’indique, présente des cercles plus ou moins concentriques sur le dessus. Elle est autochtone. Sa supériorité gustative et gastronomique, selon les connaisseurs, est incontestable, et elle possède de surcroît la flatteuse réputation d’être aphrodisiaque…
Les plus grosses d’entre elles, très recherchées, sont plaisamment nommées « pintadines ». Une maison à l’entrée de Damgan fait encore allusion à ces géantes rondes…. 

Une pintadine, aimablement prêtée par Mme Dany Le Cuillier.



L’huître creuse est celle que vous connaissez bien : de forme plutôt oblongue, sa valve inférieure est creuse. Elle est d’origine portugaise ou japonaise, et, contrairement à la précédente, importée.
Car l’huître plate était menacée… non seulement par une exploitation anarchique, mais aussi par de redoutables virus.
            L’huître, comme tout organisme vivant, a ses maladies. Les deux épizooties qu’a connues l’huître depuis le début du siècle ont été foudroyantes. La première, en 1920, touche exclusivement l’huître plate qui est alors la seule espèce connue à Damgan. Quand les creuses (portugaises) furent introduites en France, et précisément en Bretagne, la plate fut l’objet d’une sévère concurrence ; elle faillit même être évincée par sa cousine portugaise, à tel point qu’il fallut un décret pour la protéger de son encombrante rivale ! (février 1923) Hélas ! contre les virus, les décrets sont impuissants. Déjà, en 1931, une maladie avait décimé les rangs, mais, faute de connaissances, elle n’avait pas été clairement identifiée. De simples principes d’hygiène en avaient eu raison. Mais en 1973, des observations peu engageantes inquiètent les éleveurs d’huîtres plates. Le bord de la coquille s’épaissit ; ce liseré transparent et friable qui vous gêne lors de l’ouverture, car il s’effrite dès que le couteau l’a touché… ce liseré, indice d’une nouvelle pousse, n’existe plus. On voit que l’huître ne grandira plus. A l’intérieur, sa chair est maigre et sèche ; elle ne va pas tarder à mourir… et puis, le symptôme s’observe sur plusieurs coquillages, sur plusieurs dizaines, sur des centaines… l’épizootie est déclarée, mais ce virus dévastateur, qui va anéantir des années de travail et d’espoirs, ne sera identifié que 10 ans plus tard… En attendant, il s’installe solidement dans les bancs de Damgan, ainsi d’ailleurs que dans tous les centres ostréicoles de France, où il est même souvent présent dès 1969. Il atteint rapidement 80% à 100% de la population…La mortalité est quasi-générale. La culture des huîtres plates va définitivement disparaître de la Rivière de Pénerf, entraînant avec elle la menace d’une grave crise économique. Des solutions s’imposent : déplacer les cultures, comme le font les paysans quand une maladie menace leurs récoltes. On va donc tenter la culture en eau profonde. Méthode empirique, mais dont la science confirmera l’efficacité : la salinité plus importante, les volumes d’eau plus abondants perturbent le parasite.
Mais d’autres dangers menaçaient le précieux mollusque : dès 1955 en effet, le banc naturel de plates avait considérablement reculé par rapport à la dernière décennie du XIXème siècle, où il couvrait la presque totalité de la rivière de Pénerf, comme en témoignent les abondants débris retrouvés dans les fonds. En 1955 en revanche, il se limite au fond de la rivière : en aval, il n’y a plus aucune huître. Plus que les maladies, il faut mettre en cause… l’étoile de mer ! Redoutable prédatrice, friande d’huîtres de toutes espèces, l’astérie, joli nom pour un joli mollusque, n’est autre qu’une… « jolie fleur dans une peau d’vache » ! Orange, violette, mordorée, elle semble tombée du ciel pour enchanter nos promenades sur l’estran et les murs des chambres d’enfants ; lors d’une grande marée, par temps calme et ensoleillé, vous aurez envie de la photographier, pour peu que vous ayez pensé à emporter votre appareil photo (dûment protégé par une enveloppe plastique !), de manière à rapporter un double butin, gastronomique et artistique ; ces belles étoiles sont si immobiles, offertes, qu’elles semblent toutes désignées pour servir de proie trop facile à toute sorte d’ennemis… pour un peu, elles vous inspireraient autant de pitié que d’admiration ! Mais peut-être aurez-vous la chance d’en surprendre une en plein repas : elle a ouvert son coquillage, comme chacun d’entre nous, mais par une technique légèrement différente, et…. nettement plus efficace ! elle a collé 2 ventouses sur chaque valve et, par des mouvements de traction, a entr’ouvert une brèche ; puis, un fin tentacule blanchâtre discrètement glissé entre les deux valves d’une huître ou d’un pétoncle, elle aspire sournoisement l’intérieur de la bête, à la manière d’una araignée suçant une mouche, et la vide entièrement ! En voilà une qui cache bien son jeu !
Mais l’huître a aussi d’autres prédateurs : certains poissons en sont friands, comme par exemple la daurade ou la raie ; il a fallu créer des épouvantails à poissons pour les éloigner ! il suffisait de placer dans l’eau, « en bouquet », des bouteilles vides attachées par le goulot, que le courant faisait tournoyer…
Pour remédier à cette amenuisement progressif du cheptel, on songea à repeupler le banc :
Il fallut, dans un premier temps, nettoyer le fond, le débarrasser des vieilles coquilles, semer du naissain pour repeupler les bancs ravagés par la maladie. Les naissains était issus soit de l’ancien gisement naturel, soit de l’importation. A Pénerf, le naissain autochtone présentait encore suffisamment d’éléments sains. On put même l’employer pour repeupler des sites de la rivière de Crac’h et du Golfe du Morbihan !
Mais cela ne suffira pas.  Une autre alternative consiste à généraliser l’élevage des huîtres portugaises, présentes dans la Rivière. Désormais, loin de constituer une menace, elle sont la planche de salut de la filière ostréicole.

         2- huîtres d’importation
                   a- l’huître creuse portugaise
Heureusement, le décret de 1923 est devenu caduc : en 1948, une autorisation d’introduction des huîtres portugaises avait été promulguée, à titre d’essai, pour une durée de 5 ans. Rapidement, cette période d’essai fut portée à 8 ans dans les rias de Pénerf et d’Etel, zones d’affinage et non de production. En 1956, au terme des 8 ans d’expérimentation, l’expérience est jugée concluante, puisque l’autorisation devient définitive.
Les huîtres portugaises, en provenance de Marennes-Oléron, font donc leur entrée en Rivière de Pénerf, par un beau jour d’avril 1948. Elles ne plus très  jeunes : elles ont déjà 18 mois, (l’âge de commercialisation d’une huître jusqu’ alors) et il y en a environ une centaine de  tonnes. Leur histoire est pittoresque, et mérite d’être contée, même si elle n’affecte pas directement l’histoire de Pénerf : un jour de 1868, un cargo en provenance du Portugal se dirigeait, chargé d’huîtres, vers Morlaix, lorsqu’une tempête le força de s’abriter dans la baie d’Arcachon. La tempête s’éternisant, il ne put repartir immédiatement, et comme les huîtres commençaient à se gâter, on les jeta par-dessus bord. Or, certaines d’entre elles étaient restées vivantes, elles firent souche, et constituèrent un banc.
Leur caractère invasif (cause du décret de 1923) se manifeste très vite. Leur installation à Pénerf est un tel succès que les importations reprennent de plus belle, et plus massivement cette fois : en 1951, puis de nouveau en 1955, on en fait venir 1600 tonnes ! et ce qu’on avait redouté arriva : les espaces naguère consacrés à la culture de l’huître plate furent ensemencés de Portugaises, et l’industrie ostréicole à Pénerf passa du stade d’artisanat anecdotique à celui d’entreprise plus considérable, modifiant sensiblement les structures sociales de la petite ville. Entre 1948 et 1955, 134 nouveaux parcs furent crées à Pénerf. Il fallut embaucher un personnel plus nombreux, investir dans l’achat d’engins nouveaux, aptes à travailler de plus grandes superficies (car pendant ces 8 années, la superficie concédée aux ostréiculteurs  a augmenté de 37 hectares à Penerf) ; les bassins de stockage, ainsi que les magasins de triage et d’emballage sont agrandis, puisqu’il faut maintenant maintenir un courant d’échanges commerciaux avec les grands centres de vente au détail et aussi les sites de production et d’expédition (Marennes, Oléron, Saint-Vaast-la-Hougue). Le chiffre de ces expéditions ne cesse d’augmenter, atteignant en 1955 une centaine de milliers de tonnes, cependant que la vente directe atteint 2000 tonnes !
Les nouvelles venues s’accomodent on ne peut mieux du terroir damganais : sur son sol meuble et vaseux, elle croît de 14 cm en 4 mois ! mais il ne faut pas négliger  les inconvénients de cettre croissance prodigieuse mais trop accélérée, car la coquille, à ce rythme, est fragile. On est donc obligé, paradoxe ! de limiter la pousse en cassant le fameux bord friable, afin de neutraliser une pousse. Dès lors, on obtient des poids dignes du Guiness: 50 kg pour mille huîtres, ce qui nous donne des spécimens de 50 grammes un an seulement après l’installation.
En 1953 pourtant, la Portugaise est bien loin de supplanter la plate, puisqu’on compte encore une Portugaise pour 400 plates. En 1956, la proportion est de 30 kg pour 4 tonnes de plates.L’élimination se fera progressivement.

         b- les huîtres creuses japonaises
Nouvelle épizootie en 1970, dramatique cette fois. Les huîtres plates et portugaises vont disparaître totalement. La filière ostréicole est condamnée, si on n’avait eu l’idée d’importer une nouvelle espèce, indemne de toute maladie, qu’il fallut faire venir de loin : l’huître creuse du Pacifique, plus communément désignée sous le nom d’huître japonaise, qui fut introduite massivement pendant toute la décennie 1970/1980. Cette huître, c’est celle qu’aujourd’hui encore vous allez récolter en joyeuse troupe, aux grandes marées, et qui font les délices des piques-niques qui suivent la pêche !
Les naissains sont achetés au Japon. Ils arrivent sous forme de cordées ou de filières : enfilées sur une corde, ou un fil de fer ( seule la coquille vide, qui sert de support au naissain, est trouée), où s’alternent naissains et entretoises (morceaux de plastique placés entre les coqilles, pour les empêcher de se coller entre elles), les Japonaises sont particulièrement vigoureuses et résistantes, puisque jusqu’à cette époque elles avaient surmonté toutes les attaques de virus. Elle est même considérée comme espèce invasive en Bretagne. Qui d’entre vous, au récit d’une pêche héroïque à des parents exilés dans une lointaine province (par exemple, à Vannes), ne s’est entendu dire : « mais comment ! avec tout ce que vous ramassez, il en reste encore à la marée suivante !!! » Oui, elles semblent inépuisables, ces belles Japonaises … et pourtant, gare à la surpêche ! Rien, sur notre planète, n’est inépuisable ; respectons donc, sans trop rechigner, les quotas limitant le ramassage à 3kg par personne et par marée.

                                      
Ecaille d’huître japonaise ; collection personnelle de Mme Dany Le Cuillier.





II- LE TRAVAIL DES HUÎTRES
C’est au début des années 60 que l’ostréiculture devient une profession à part entière.
En 1972, on compte déjà à Pénerf 20 ostréiculteurs exploitants. Ils emploient une vingtaine d’ouvriers, ainsi que du personnel de service.
Le travail de l’ostréiculteur est tributaire des marées : à marée basse, il se rend en mer, à bord de son embarcation, une sorte de barge plate appelée justement une « plate »; les plates, en ce temps-là, arborent des couleurs vives : bleu, jaune, vert. Les plus grandes exploitations possèdent des chalands.
 A marée haute ou en période de morte eau, il travaille dans sa cabane.

En mer, il recueille les naissains, bébés  huîtres encore à l’état de larve ;  à moins que ces naissains ne soient importés de Charente. Les larves qui ont été captées sur place, dans la rivière de Pénerf, sont ensuite mises dans des capteurs, qui ne sont rien d’autre que des tubes métalliques, ou des tuiles chaulées au lait de chaux, fixées sur des piquets de châtaignier à 50 cm du fond de la rivière, ou des coquilles d’huîtres vides (c’est la cas le plus fréquent dans la Rivière de Pénerf), sous lesquelles elles grandissent à l’abri des prédateurs. Le nombre moyen de naissains par tuile est de 20, avec un maximum de 45 et un minimum de 5. Dès qu’elles ont atteint une taille raisonnable, elles sont, soit épandues à même le sol, soit  mises dans des poches elles-mêmes placées, depuis le début des années 60, sur des tables en bois ou en fer. Il faut retourner fréquemment ces poches, afin que les huîtres ne se collent pas entre elles, comme celles que nous ramassons sur l’estran, et qui font dire à certains, dans un cri de joie : « deux pour le prix d’une ! ».  Ici, rien de semblable ! un ostréiculteur qui se respecte ne vend pas « 2 huîtres pour le prix d’une ! » Au contraire, chacune doit être bien séparée des autres, la coquille propre, exempte de petits parasites, excroissances, débris de coquille adventice collés sur son écaille.

        











Bouquet de naissains appartenant à Dany Le Cuillier  


                                                                                              Par une cruelle ironie de la nature,  ce      naissain a grandi collé à son pire prédateur: un bigorneau



 Quant au travail au sol, il présente un sérieux inconvénient, d’ordre matériel : il est extrêmement pénible, de par les efforts physiques qu’il requiert. Les ostréiculteurs paient un lourd tribut, en termes de douleurs lombaires… les huîtres sont étendues sur le sol, qui, à l’époque, est dur, et non vaseux et mouvant comme aujourd’hui. Il faut, à intervalles réguliers, les tourner avec une fourche. Ensuite, on les laisse « pousser » tranquillement. On les place ensuite dans des gabirolles, sortes de brancards à deux compartiments. Ces gabirolles sont fabriquées par des menuisiers, petits artisans de Muzillac par exemple.
            Les deux photos ci-dessous représentent deux modèles réduits : l’un est une gabirolle ; le second, un chaland équipé de ses deux gabirolles :






Représentation en miniature d’un chaland, réalisée par M. Jean-Claude Le Cuillier, appartenenant à la collection privée de Mme Dany Le Cuillier.)


 Le travail en mer est rude, il demande des aptitudes physiques ; la période de quelques heures passée sur le parc est une véritable course contre la montre : arrivé un peu avant la marée basse, il s’agit d’être reparti, une fois son travail fini, avant que la mer ne recouvre complètement les huîtres ! et les poches sont lourdes à manipuler, même si, de plus en plus, le travail à plat cède la place au travail surélevé, grâce à l’intervention des tables… Mais, paradoxalement, le travail « au sol » trouve ses défenseurs contre le travail « en élévation » (sur tables) : la superficie est évidemment plus considérable.

Et c’est sans compter avec les accidents du travail : coupures des pieds à travers les bottes, panaris que l’on soigne soi-même, à la va-vite… 

Au bout d’une année, au printemps, les huîtres sont triées selon leur grosseur et déposées sur les parcs, à plat, pendant encore une année. Il faut ensuite les  détacher de leur capteur. Enfin, au bout de la 3° année, elles reviennent au chantier pour y être affinées dans des bassins, après quoi elles seront conditionnées, prêtes à être vendues. Le transport des huîtres, cette fois, se fait en tracteur.



Les huîtres de mer sont salées ; trop, peut-être, au goût du consommateur. Le trempage dans l’eau plus douce des bassins leur permet d’acquérir un goût plus léger. Les bassins d’affinage sont situés dans la rivière voisine.
Les mois en R :
Dès lors, elles sont prêtes à être consommées, dégustées plutôt ! L’huître est la grande consolatrice de l’hiver… car en ces années-là, on se contente de manger des huîtres durant les mois « en R ». De septembre à avril, donc. Avant et après, de mai à août, c’est la saison du frai et de la reproduction : l’huître secrète alors une substance blanchâtre et visqueuse qui la rend peu agréable à manger. Et comme on n’a pas encore inventé l’huître stérile, découverte du XXIème siècle, on attend patiemment le retour des « mois en R » !
Mais ce paisible commerce allait être victime d’un nouvel ennemi qu’on n’avait pas prévu: un drame inattendu et nouveau secoua l’opinion publique : en 1978, le pétrolier AmocoCadiz alla se naufrager contre les rochers de Portsall, libérant près de 230 000 tonnes de pétroles brut dans les eaux de la Manche, qui allèrent polluer 360 km de littoral entre la rade de Brest et la baie de St Brieuc. Le dégât était énorme, incommensurable : des milliers de tonnes d’huîtres  étaient détruites, irrémédiablement perdues, dans les bassins ostréicoles français. C’est la raison pour laquelle, en 1979, une directive européenne, fit obligation à toutes les concessions ostréicoles de posséder des bassins insubmersibles : il s’agit de bassins en ciment, situés en deça de la zone de marnage et hors d’atteinte de la mer. Alimentés en eau de mer par des pompes, ces bassins permettent de contrôler la qualité de l’eau dans laquelle vont baigner les huîtres. Ils sont remplis, puis vidés à chaque marée.

Il faut aussi entretenir les parcs, à l’aide d’une herse métallique, qui griffe le sol et en mêle les éléments. La herse est fixée derrière la plate. Enfin, et c’est sans doute le travail le plus dur, il faut entretenir les tables, voire les changer. Parfois, la force de la marée les fait basculer, il faut alors les redresser, à bras d’homme, toutes chargées d’eau, de coquillages et d’algues…
On pratique également en rivière de Penerf le verdissement des huîtres : une algue, la navicule bleue, se fixe sur les branchies de l’huître, la colorant en vert. Cette technique n’est pas pratiquée partout, mais elle fait augmenter le prix de l’huître. Penerf est un des rares sites où les huîtres peuvent verdir, parce qu’il s’y trouve de la navicule bleue. La plupart des ostréiculteurs, toutefois, dédaignent cette pratique : «  ça sert à rien ; on ne les vend pas beaucoup plus cher, parce qu’ici les gens ne sont pas habitués » Cette coloration est purement esthétique et n’altère pas le goût de l’huître, alors qu’en Charente, elle lui confère une saveur et une finesse très appréciée du consommateur. Mais doit-on s’indigner ou rire de la tentative d’un ostréiculteur peu scrupuleux qui voulut verdir ses huîtres avec un peu de bleu de méthylène ?
                                          

          

III- la vie quotidienne et familiale

Jusqu’en 1972, l’élevage des huîtres se fait dans des concessions de petite importance, des entreprises familiales. Souvent, un des fils reprend l’exploitation de son père, mais pas tout de suite… dans la plupart des cas, le jeune veut faire preuve d’indépendance en quittant le domicile familial. Il entrera alors dans la Marine. Et puis, au bout de quelques années, souvent après le mariage, lui vient le désir de se stabiliser, de rentrer tous les soirs à la maison. C’est alors qu’il va s’interésser à la concession.
Toute la famille participe au travail, mais seul le chef de famille est ostréiculteur. Pour son épouse, elle n’est que femme au foyer. Son travail n’est pas reconnu comme tel, même s’il fait faire à la famille l’économie d’une employée… Mais dans plusieurs cas, elle pratique une profession indépendante, à la Poste, ou à l’Instruction publique (c’est ainsi que s’appelait autrefois l’Education nationale).
L’épouse de l’ostréiculteur, en raison de la dureté du travail, travaille rarement sur le parc lui-même. Elle reste à la cabane, elle s’occupe à trier et à nettoyer les huîtres, prépare les colis, les étiquettes sanitaires. Sa journée est rude aussi. Souvent même, elle la complète en ramassant sur l’estran des palourdes qui seront ensuite vendues. Les fins de mois sont parfois difficiles, les clients exigeants, le travail ne manque pas ; cet appoint est tout à fait bienvenu. Pour déloger la palourde de son lit de sable, elle se sert d’une groumène, sorte de crochet dont la forme est idéale pour gratter le sable et faire sortir, d’un coup de poignet, la palourde à l’air libre. On trouve aujourd’hui des groumènes dans tous les commerces et supermarchés. Mais à l’époque, c’est le père de famille lui-même qui les forge. Le modèle ci-dessous a été ainsi fabriqué des propres mains de Monsieur Le Barillec :



Parfois, dans le creux d’un rocher, il lui arrive de surprendre- et de prendre- un congre ! A vrai dire, elle y comptait bien, puisqu’elle s’était armée de son morio :

  
                                                          
Même les enfants sont mis à contribution. Il n’est pas rare, en période de travail intensif, notamment aux fêtes de fin d’année, qu’ils manquent un peu l’école pour donner un coup de main. A moins- et cela arrive !- que la maman ne soit l’institutrice du village ! Tant qu’ils ne marchent pas, d’ailleurs, les tout-petits accompagneront leur mère, douillettement emmitouflés dans des couvertures bien chaudes, au fond de leur landau, voire une simple brouette dans les familles les plus pauvres. Ils font ainsi leur tout premier apprentissage, dès les premiers jours de leur vie ! Mais dès qu’ils ont un peu grandi, ils seront très fiers d’aider aux menus travaux de la cabane ; c’est tellement amusant, pour un gamin, de détroquer les huîtres !
Le petit garçon est tout naturellement appelé à prendre la succession de son père, dès que celui-ci aura atteint l’âge de la retraite, c’est-à-dire 55 ans (ou 60 ans pour ceux qui ont cotisé au régime agricole). C’est ce qui se produit la plupart du temps. Prenons l’exemple de la famille Dufrêche : la grand-mère Adélaïde, une rude travailleuse qui abat dans les parcs autant de travail qu’un homme, possède une concession; elle la transmet à et ensuite à son fils, et quand ce dernier prend sa retraite en (quelle année), c’est Loïc, le petit-fils d’Adélaïde, qui prend la suite. Loïck ayant à son tour atteint l’âge heureux de la retraite, l’affaire est maintenant aux mains de son fils Patrick : 4 générations d’ostréiculteurs ! sans compter les branches collatérales : la sœur de Loïc, Dany, épouse Jean-Claude Le Cuillier : tous deux exploitent également une concession.




Adélaïde Dufrêche dans son parc


Le petit Loïck, à bord de son premier bateau fait avec des caisses à huîtres.




 Certains, toutefois, quittent l’exploitation familiale pour s’installer à leur compte. En particulier, à la fin de la période qui nous intéresse, après les années 80, se dessine une certaine inquiétude chez les enfants comme chez les parents, qui poussent eux-même leurs fils à embrasser des carrières moins aléatoires : « dans l’ostréiculture, de nos jours, on sème, mais on n’est pas sûr de récolter », confie l’un d’entre eux avec un brin de nostalgie…
Quant aux filles, jusqu’à leur mariage, elles aideront au tri des coquillage et à l’emballage, les jeudis et jours fériés, et même un peu plus souvent en période de Noël.
Parfois, les fins de mois sont difficiles. De mai à août, « on ne touche plus les huîtres. » Si la recette de l’hiver n’a pas été suffisante pour faire vivre la famille pendant tout l’année, la situation peut vite devenir délicate.  Si l’épouse travaille à l’extérieur, son salaire est précieux dans ces périodes. C’est pourquoi il n’est pas rare que l’ostréiculteur ait recours à une activité d’appoint, et ce sera tout naturellement la pêche. Alors, il « part à la sardine », au Croisic ou à la Turballe,  ou à la pêche aux moules, cependant que la femme ramasse des palourdes qu’elle ira revendre, afin de « mettre le feu sous la marmite ».
Et ainsi, la vie quotidienne s’organise autour des huîtres ; la marée rythme les occupations de chacun. Le goût du public pour les huîtres et pour leur récolte fait naître de nouvelles ambitions, une nouvelle richesse, une nouvelle prospérité : les restaurants autour de la cale et des parcs à huîtres font des affaires ; on va même jusqu’à inventer les premières chambres d’hôtes : lors de la drague annuelle, il n’est pas rare que des sinagots viennent passer 2 ou 3 jours à Damgan, pour profiter pleinement de l’autorisation de pêche. Il faut donc les loger. Adélaïde Dufrêche fait ajouter une aile à sa maison de la rue du Port : elle la divise en petits appartements de 2 pièces qu’elle loue, pendant les quelques jours que dure la drague. Cette maison existe toujours ; elle fait partie des plus célèbres et des plus charmantes maisons anciennes de Damgan. Car nous avons conservé de très jolies maisons, près du port de Pénerf en particulier, pour la plupart anciennes maisons d’ostréiculteurs. La façade est en pierre, généralement crépie à la chaux, seul matériau étanche dans le temps. Seuls les encadrements des portes et des fenêtres, ainsi que les chaînages d’angles (mais cela n’est pas systématique) sont en pierres apparentes.L es portes, fenêtres et volets sont peints avec des restes de la peinture qui ont servi pour les bateaux ; comme ceux-ci étaient généralement bleus, cela explique la jolie couleur azurée de ces antiques demeures. L’extérieur est l’exact reflet de l’intérieur : la porte d’entrée au milieu, en bois plein, ouvre sur un couloir, au fond duquel se trouve l’escalier qui monte à l’étage. De part et d’autre, au rez de chaussée, deux pièces : la cuisine qui sert aussi de pièce à vivre, avec une cheminée bien entendu, car toute l’année, le chaudron, posé sur un trépied, servait à faire bouillir l’eau, la soupe, les pommes de terre. Mais il y avait également une cuisinière, d’abord à bois, puis à gaz. De l’autre côté, une chambre. L’étage est agencé de la même façon : l’escalier au milieu, deux chambres de part et d’autre, et au fond, une petite pièce. Le plus souvent, une petite lucarne s’élève au centre.
Ce plan est parfaitement visible dans la maison de Nathalie Dugué (notons que dans cette dernière, les pierres sont apparentes : on a récemment fait tomber le crépi) :
                                   



Le toit est en ardoise, jamais en chaume. Sur la façade, il n’est pas rare de voir une pierre sculptée rappelant la date de construction ou, plus rarement, une anecdote concernant l’histoire de la famille, voire une allégorie.
La maison de la famille Le Masson possède ainsi un linteau sculpté indiquant la date de 1862 :





Cependant que sur celle-ci, propriété de la famille Le Cuillier, on peut voir Madame  Penerf :



IV-le commerce

Mais bien entendu, le principal profit consiste dans la vente des coquillages eux-mêmes.
Aujourd’hui, quand vous venez à Damgan, vous allez acheter quelques douzaines d’huîtres, le dimanche matin, à la cabane de Patrick Dufrêche, de Joël Denis ou de Michaël Glaunec ; vous pouvez les rapporter chez vous, pour les déguster en famille, ou encore les manger directement à la cabane, avec une joyeuse bande d’amis. Dans ce cas, l’ostréiculteur se fera un plaisir de vous servir, à votre demande, un petit verre de Muscadet bien frais (à consommer avec modération…)
La première à avoir instauré la vente à la cabane, dans les années 50, est Nathalie Dugué. Son échoppe, Le petit mousse, se voit encore aujourd’hui lorsqu’on emprunte la promenade du Quartier latin. Nostalgique et endormie, elle regarde aujourd’hui la Rivière en rêvant aux beaux jours d’antan où elle était le centre d’une activité bourdonnante…


A l’époque, les normes sanitaires n’avaient pas encore imposé de contrôles, et l’huître se vendait de la main à la main, directement du bassin au consommateur. Mais à partir de 1974, seuls ont le droit de vendre ainsi ceux qui ont un bassin insubmersible ; les huîtres sont alors contrôlées et l’ostréiculteur se voit attribuer des étiquettes sanitaires, attestant de la bonne qualité et de l’absence de risques sanitaires pour le consommateur.
Les autres vendent directement au chantier. La vente des huîtres a ses procédés propres : pas de criée, contrairement aux poissons ; l’ostréiculteur vend à des courtiers, à un prix négocié en fonction du cours, de l’abondance de la récolte, et, bien entendu, de la demande. A son tour, le courtier revend à des ostréiculteurs qui se chargeront de l’affinage et de la vente au détail. Dans les années 1950/1960, c’est la pratique la plus courante. Le marché de l’huître est en plein boum, et une activité bourdonnante anime Damgan. L’essentiel de la vente se fait en octobre/novembre, juste le temps de les affiner avant les fêtes de fin d’année.
La plupart vendent directement aux poissonniers, restaurateurs, et le plus souvent au marché, directement au consommateur, ou encore livrent à une clientèle choisie de fidèles.
Les tournées à bord d’une camionnette (le fameux TUB Citroën, qui succède au B2) emmènent l’ostréiculteur à Béganne, Redon, Malestroit, Plouharnel, et très vite, jusqu’à Rennes ou Nantes. Pour se rendre à ces marchés plus éloignés, certains partent à trois heures du matin ! car, en chemin, ils s’arrêtent pour livrer à une clientèle d’habitués. Pour éviter la concurrence, d’autres vont jusqu’au Mans, à Rouen, et même  Paris ! Ecoutons M.Jean-Pierre Fragnaud nous raconter son premier marché au Mans : « il y avait cinq producteurs : deux de Pénerf, un Charentais, un Vendéen et un Breton du nord ; la concurrence était pire qu’à Redon ! on a préféré s’arrêter, ça ne valait pas la peine d’aller si loin… La première semaine, le chiffre d’affaire a été de 50 francs ; la semaine suivante, c’était un peu mieux, puis petit à petit, la clientèle s’est faite. Même, une petite surface (magasin Carrefour) a proposé d’en acheter. »
Le plus courant reste toutefois l’expédition aux marchés locaux : Vannes, St Nazaire, Damgan même, où un petit déballage, les jours de marché essentiellement, se révèle assez rentable pour les premiers arrivés. Mais devant le succès obtenu, d’autres ostréiculteurs suivent l’exemple, et, la clientèle se partageant, le chiffre de vente s’amenuise pour chacun…
Tous n’envoient pas leurs huîtres en camionnette. Certains livrent en vélo ou en mobylette. Mais le moyen de transport le plus courant –et le plus pittoresque !- reste la SNCF ! Imaginez, dans nos gares modernes, les travailleurs qui se pressent chaque matin pour  regagner, de leur coquets pavillons de banlieue, leur bureau situé dans la grande ville, côtoyant d’énormes poches d’huîtres !!! Un prévenant jeune homme proposerait-il à Mme Le Cuillier : « Madame, puis-je vous aider à porter votre bagage ? » On en doute quelque peu… Non pas que nos jeunes manquent de galanterie ; mais il n’en aurait peut-être pas la force ! Car Dany Le Cuillier, une petit dame d’apparence fragile mais à l’énergie de fer, déchargeait jusqu’à une tonne d’huîtres en gare de Vannes ! Près d’elle travaillait M. Tiffoche, ancien maire de Damgan. C’est lui qui, un beau jour de 1965, maria Dany et Jean-Claude ; en guise de discours aux jeunes époux, il eut, raconte Dany, ce commentaire mélancolique : « je suis en train de perdre ma meilleure

collègue ! »
Et tout ce joyeux négoce donne lieu à des scènes pittoresques, telle que cette page du journal Ouest France de décembre 1966 :



Mais toute cette joyeuse activité est menacée, à long terme. On a déjà vu les problèmes de concurrence, qui poussent les ostréiculteurs à aller de plus en plus loin vendre leurs produits. La surproduction  est imminente. On l’a vu aussi, le marché n’échappe pas à l’itervention d’intermédiaires : courtiers, grossistes, restaurateurs, dont la quantité fait augmenter considérablement les prix, de sorte que l’huître finit par être un produit de luxe, réservé à un petit nombre de privilégiés, trop peu nombreux pour que le commerce de l’huître de quatre ans (qui est l’âge optimal pour la consommation) ne débouche pas sur une crise. En même temps, le prix du naissain est complètement anarchique, obéissant à des hausses brutales qui ne se répercutent pas sur le prix à la vente. Il fallait trouver des solutions.
            Or, dans les autres filières (agriculture, poisson), vers la fin des années 50, on avait mis en place des coopératives. Quelques ostréiculteurs inquiets, voyant les excellents résultats obtenus, s’avisèrent de suivre cet exemple, et en septembre 1960, la coopérative maritime ostréicole de Bretagne atlantique vit le jour. Elle aurait pour avantage de supprimer à la fois les intermédiaires, en vendant directement au consommateur, et l’anarchie des prix, en les fixant elle-même. Elle forme le projet d’expédier des colis de 3, 5 et 10 kg à des grandes et moyennes surfaces (les grandes surfaces de cette époque étaient de tout petits libre-service comparés à nos hypermarchés !) qui organiseraient des ventes d’huîtres. Ainsi, grâce à la suppression des intermédiaires, les prix seraient plus bas, et la coopérative pourrait concurrencer les détaillants. Parallèlement, les pratiques artisanales de naguère continueraient à exister. Beau programme.
            Hélas, il ne vit jamais réellement le jour. Passé la saison de 1960, la coopérative cessa de fonctionner. Les ostréiculteurs lui reprochaient d’abaisser la qualité pour pouvoir pratiquer des prix bas. A Pénerf, ils étaient trop peu nombreux, comparativement à ceux du Tour du Parc, et ils savaient que, si la coopérative se créait, leur voix ne pourrait jamais se faire entendre… Le travail reprit comme par le passé, ou plutôt continua, car la coopérative n’avait jamais dépassé le stade de l’utopie. Le commerce ostréicole était en pleine prospérité ; c’était le temps où il fallait encore se battre pour obtenir une concession, car les demandes étaient nombreuses, la perspective d’un brillant avenir attirait de plus en plus de monde. Un an plus tard, il était déjà trop tard : le spectre de la surproduction commençait à se faire jour…
            Le commerce des huîtres à Pénerf connut une sorte d’apogée dans le début des années 80 : le représentant des moteurs Yamaha vient en personne, du Japon, visiter le parc de la famille Le Cuillier : il avait entendu parler d’une invention particulièrement ingénieuse… Jean-Claude Le Cuillier avait fabriqué, pour son chalant, une sorte de motogodille avec une longue tige ; pour arrêter les gaz, il avait utilisé… une poignée de vélosolex ! les Japonais en restèrent ébahis !

C’était une joyeuse époque. Aujourd’hui, il ne reste plus à Pénerf qu’une poignée d’ostréiculteurs. Métier trop difficile, revenus trop aléatoires…  mais comme dit l’un d’entre eux, Jean-Pierre Fragnaud,  aujourd’hui retraité : « c’était un métier pénible, mais tellement agréable ! »


Sources :
-          Henri Grizel, étude des récentes épizooties de l'huître plate ostrea edulis linne et de leur impact sur l'ostréiculture bretonne,  THESEprésentée à l'Université des Sciences et Techniques du Languedoc pour obtenir le grade de Docteur d'Etat mention SCIENCES, Montpellier 1985.
-          Nicole Landre, Fichier technique des estuaires bretons, Bureau d’études de la SEPNB, 1974/1975.
-          D' Ph. Louis LAMBERT. Inspecteur génl!ral du Contrôle Sanitaire à l'Omet Scientifique et Technique des P~ches Maritimes .\Iembre du Conseil 5uphieur des ...L’huître et le contrôle sanitaire ostréicole, archives ARCHIMER/IFREMER
-          L . Marteil, l’huître portugaise en Bretagne, in Revue des Travaux de l’Institut des Pêches maritimes, 1957.
-          Huguette Hémon, les problèmes commerciaux de l’ostréiculture dans le Golfe du Morbihan et ses abords, Norois, n° 34, 1962.
Remerciements à M. et Mme Berrier, à M. Joël Denis, à M. et Mme Loïck Dufrêche, à M. Jean-Pierre Fragnaud, à Michaël Glaunec, à M. Le Barillec, à Mme Dany Le Cuillier, à M. Alain Valentin-Durand, et à tous ceux qui, par leurs conseils, leurs récits, leurs confidences, les précieux documents qu’ils m’ont prêtés, m’ont aidée dans ce travail. Ils sauront se reconnaître.









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